Tu quittes la maison au pas de courses. Tu n'en peux plus de les entendre discuter partie de chasse, transformation des jeunes loups, meute et autres banalités dans le même ton. D'habitude, tu n'en tiens pas compte. Depuis le temps, tu as appris à passer au dessus de ça. Ton père t'as toujours soutenu, t'as toujours aidé à faire face à cela. Mais aujourd'hui, t'es dans un mauvais jour. L'un de ces mauvais jours qui te laisse un arrière gout amer dans la bouche. Tu ne sers à rien. N'as jamais pu les aider. N'as jamais pu courir à leur côté. Ni même te transformer Pourtant, c'est ce que l'on attend d'une louve, non. D'autant plus de la fille de l'alpha. Mais pour toi, c'est un échec. Un échec total. Tu n'es jamais parvenu à coopérer avec la partie animal en toi. Et elle te le fait payer cher. Tu t'es toujours demandé si une malédiction ne pesait pas sur ta tête.

Plus le temps, plus cette incapacité à faire sortir la bête risque de poser problème. Outre tous les soucis apparent - entre autre tes soudains éclats de colère puisque tu ne peux pas te défouler à courir à quatre pattes comme tes semblables - se pose la question de ce qui adviendra de la meute lorsque ton père ne sera plus en mesure de garder sa place de leader. Tu sais qu'il vieilli, tu sais qu'il n'est pas éternel, mais tu n'es pas prête à ça. Pas quand ta bête refuse de t'écouter. Même si tu es la seule à croire en ta mère, à jurer contre tous qu'elle ne vous a pas oublié, pas abandonné, des fois, comme dans ces moments là, tu la hais du plus profond de ton cœur. La haine, c'est comme la colère. Beaucoup de loup la fait disparaître en partant courir avec la meute, mais toi, tu ne peux pas. Tu peux juste refouler tout ça, refouler toutes tes émotions. Et parfois, comme aujourd'hui, tout ça t'éclate à la gueule, te revient en plein visage, et tu n'es plus en mesure de faire face.

Alors tu t'échappes de la demeure familiale que tu partages avec ton père mais dans laquelle vous n'êtes jamais seule car un membre de la meute - voir plusieurs - et toujours là. Tu sautes d'un même pas les marches du perron et t'enfuis dans la forêt qui surplombe la maison. Tu ne prêtes pas attention au voix, tu fais taire tout ce qui t'entoure, tu as juste besoin de te retrouver seule. Seule avec toi-même. Seule pour faire le point. Seule pour retrouver tes esprits et faire face à nouveau. Tu arrives au centre de la forêt essoufflée. Bien sûr, sans ton animal, tu as beaucoup moins d'endurance que tes semblables. C'est logique, mais ça ne rajoute qu'un peu plus de frustration. T'es pire qu'une cocotte minute, tu es prête à exploser. Tu dois trouver quelque chose pour extérioriser ta rage. Tu t'approches d'un tronc, et sans plus réfléchir, tu frappes l'écorce de toutes tes forces. La douleur est immédiate, intense, et tu en cris de rage. Tu crains moins la douleur qu'une personne normale, mais tu mettras plus de temps qu'une personne de la meute pour cicatrisé. « Merde. Je te hais. Je te hais. » Tu tires sur tes mèches, te recroquevilles sur toi-même. « Pourquoi ? Pourquoi refuses-tu de m'obéir ? Pourquoi refuses-tu de sortir ? » Tu tapes contre le sol, les phalanges pleins de sang et de saleté. Mais tu t'en fiches. T'en a rien à foutre. T'as juste besoin de déverser ta rage, ta colère, ta peine, ta haine, et ton humiliation.

Tu frappes. Encore et encore. Torse nu, tu ne prêtes pas attention aux éclats de rire qui raisonnent non loin de vous. Non toi, t’as besoin de te défouler. De l’oublier. Putain merde, c’est ça le problème ! C’est elle ! Elle hante tes pensées, alors que tu ne devrais pas. T’es loin d’être un alpha. Hormis si tu arrives à gravir les échelons, et tu pourras le revendiquer. Mais pour l’instant, tu n’es qu’un petit bêta, limite oméga ! Et ça t’agace profondément. T’as entendu les mecs qui parlaient, qui veulent la revendiquer auprès de son père. Alors même si tu le connais son père, votre chef et que tu te doutes qu’il refusera, un jour ou l’autre, il finira par accepter. Et ça te met dans une rage folle. « Hé doucement mec, tu viens de me briser des côtes ! » Tu relèves la tête et plantes ton regard dans celui d’Adrian. Merde ! Tu vois le loup, ton meilleur pote, qui se tient les flancs. Secouant la tête pour chasser tout ça de ton esprit, tu te redresses tout en repoussant tes mèches trempées de sueur en arrière. « Pardon mec ! » Il ne te demande pas d’explications, ne t’en veux pas de t’être laissé submergé. Il sait très bien ce qui te travaille. Depuis que tu as perdu tes parents, que t’es devenu le petit orphelin de la meute, il sait que t’as une rage qui sommeille au fond de toi. Il ne pose donc jamais de questions, de toute manière, tu n’y répondrais pas. Tes problèmes ne regardent personne. Ta mère serait encore de ce monde, tu aurais pu te confier à elle … Mais vu que ce n’est plus le cas, tu ne peux que compter sur toi-même.

Sortant de chez toi, après une bonne douche, tu remets le col de ton t-shirt blanc correctement. Tu ne sais pas encore comment tu vas occuper ta journée. Ton corps est encore bleu par endroit, après ton entraînement avec Adrian, mais ça ne fait rien. D’ici ce soir, tu auras cicatrisé. L’avantage d’être un loup ! Marchant tranquillement, tu repères une silhouette qui ne t’est pas inconnue. Fronçant les sourcils, alors qu’elle n’a pas l’air bien, tu lui emboîtes le pas. Tu ne devrais pas. Elle ne te voit que comme un meilleur ami de toute manière. Mais pour toi, elle est bien plus que ta meilleure amie. Sans que tu ne prennes en compte son statut dans la meute. Traversant rapidement la végétation, tu lui laisses l’intimité dont elle semble avoir besoin. Tu ne veux pas la brusquer, puis ça te permet de l’observer tranquillement. Elle est tellement belle ! Mais lorsque tu la vois se blesser, tu ne peux plus rester cacher. Sortant de derrière un arbre, tu avances sans un bruit vers elle. T’agenouillant, tu attrapes délicatement ses mains. « Hé ma belle, tu ne peux pas te faire du mal comme ça. » Tu sais qu’elle s’en veut de ne pas réussir à se transformer. Certains se moquent d’elle, mais pas toi. On a tous des blocages et elle, c’est avec la louve qui sommeille en elle. Délicatement, tenant toujours ses mains, tu l’attires vers toi. Inspirant doucement son odeur, une de tes mains vient passer dans ses mèches blondes pour la rassurer. « Ne t’énerves pas contre ta louve, ça ne t’aidera pas … Il te faut du temps. » Surtout que la première transformation est toujours la plus douloureuse. Et dans le fond, tu ne veux pas qu’elle endure une telle souffrance. Une fois qu’elle semble un peu plus calme, tu regardes ses phalanges abîmées. « Il faudrait soigner ça. » Tu attends qu’elle soit prête à se lever et à retourner chez elle. Jamais tu ne la brusqueras. Parce que tu l’aimes depuis que t’es gosse.