Tu claques la porte derrière toi, et tu prends la poudre d'escampette. Tu ne souhaites pas être à la place de la personne qui va tomber sur ta boucherie. Enfin, non, tu t'en fiches à vrai dire. C'est pas comme si t'étais capable de ressentir quelque chose. En toi, y'a juste du vide, et même ce qu'il s'est passé dans cette baraque, ça te fait aucun effet. Tu as à peine ressenti le plaisir de la chair. A chaque fois, tu espères que se sera différent, mais c'est toujours la même chose. T'as essayé plusieurs truc, tu t'es tapé des mecs, un, deux, parfois en même temps. T'as même essayé avec des femmes, en espérant que le problème vienne juste de la gente masculine, c'est imbécile, mais ça n'a pas eu plus de succès, il faut bien que tu te rendes à l'évidence, le problème ce n'est pas eux, mais toi. Tu ne ressens plus rien, ni plaisir, ni envie, ni douleur, rien. Tu es juste vide de l'intérieur. Au début, y'avait cette frénésie de sang, qui t'occupait, t'obsédait. Quand tu plantais tes crocs dans la chair d'un cou bien juteux, là tu avais la sensation de vivre. Mais ça a fini par te passer à mesure que tu as réussi à te contrôler. Et aujourd'hui, tout te sent fade. Tu ne ressens rien, juste le vide, l'absence. Même la haine que tu voues pour ce type, au final, t'as l'impression que c'est devenu plus une habitude qu'une véritable émotion.

Du coup, tu erres, tu passes ta vie entre partie de sexe et avidité de sang, ça te fait passé le temps, mais ça ne t'amuse même plus. La boucherie que tu as laissé derrière toi ne te fait ni chaud, ni froid. A l'époque tu exulterais, là, tu es juste indifférente. Tu dois reprendre ta traque, peut-être qu'une fois que tu te seras débarrasser du tueur de ta fille, tu apprendras à vivre autrefois. Peut-être que lorsque tu te seras débarrasser de ce poids sur ton cœur, tu pourras ressentir de nouveau. Mais là, pour l'instant, tu en as juste marre. Un cri de rage s'échappe de ta gorge alors que tu t'arrêtes au milieu de la forêt. Tu donnerais tout pour ressentir, même une toute petite émotion. Même la peur serait la bienvenue à l'heure actuelle. « Qu'est-ce qui cloche chez moi, putain ? » Depuis que tu es devenu cette espèce de monstre, plus rien ne va. Tu n'arrives pas à mener tes projets à bout, tu as tout perdu. La seule chose que tu voulais toi, c'était venger ta fille, arracher la vie à son tueur, comme lui a pris plaisir à arracher celle de ta fille sous tes yeux. Mais t'es même pas capable de mettre la main sur lui. Et à côté de ça, tu es devenu une véritable âme en peine qui traîne son poids.

« Je vous ai entendu » Le craquement des feuilles mortes, même imperceptible t'as mis sur la piste. Ainsi que ton odorat. Quelqu'un est là, l'un des tiens. C'est bien un strigoï qui s'approche, mais impossible pour toi d'identifier la personne. Pourtant, cette odeur te semble familière, comme quelque chose de déjà vu. C'est quelqu'un de ta connaissance, quelqu'un que t'as déjà croisé. Quelqu'un que tu connaissais même bien, vu les souvenirs qui couvent à la surface. « Damian ? » Et tes souvenirs te percutent d'un coup. Lui, toi. Vos deux corps. Votre vie commune. Hugo, votre fils. Toi qui le quitte. Ton manque qui se fait sentir. La distance que tu ne supportes plus. Ton erreur. Cet autre homme. Et puis, ce qui en a découlé. La mort de Hugo te percute, violement. Cela serait-il arrivé si tu étais resté, si tu l'avais attendu ? Bordel, son apparition fou le bordel dans ta vie. Tu n'étais pas préparé à le revoir. Tu pensais ne jamais croisé à nouveau son chemin. Là c'est comme une grosse gifle en pleine gueule. T'étais pas prête. Pas prête. « Qu'est-ce que tu fais là ? Comment m'as tu retrouvé ? » Et plus important, qu'est-ce qui lui est arrivé... Que c'est-il passé pour qu'il rejoigne lui aussi les monstres ?

L’horreur, il l’avait connue en allant au front à de nombreuses reprises. Il avait vu ses camarades tombés, morts alors que tout explosait de toute part. Mais rien ne l’avait pourtant préparé à la réalité des choses : l’existence des vampires. Enfin, des strigoïs, comme sa créatrice lui avait appris. Il existait deux sortes de vampires mais lui, il faisait partie des plus forts, ceux qui ne pouvaient pas sortir à la lumière du jour. Aussi, Damian, à ses côtés, avait appris à maîtriser cette soif de sang grandissante qui courrait dans ses veines. C’était quelque chose d’incontrôlable, alors qu’il ne ressentait que le besoin de combler son estomac. Au fil des mois, le brun avait réussi à se maîtriser, au point où il n’était plus obligé de tuer ses victimes. Ce n’était pas toujours simple de s’arrêter, mais l’homme faisait de nombreux progrès. De toute manière, il n’avait pas d’autre choix, vu que sa créatrice avait fini par disparaître, du jour au lendemain. Il avait simplement eu un mot lui disant qu’elle partait pour d’autres horizons.

Prenant le chemin de la forêt, Damian a pris cette habitude pour extérioriser ses pensées. Moyen de pouvoir se recentrer sur lui-même, alors que tous ses souvenirs sont brouillés. Il aimerait tellement revoir sa femme et son fils, mais depuis des mois maintenant, il n’a aucune piste. Comme si Eliza et Hugo avaient disparu de la surface du globe. Et pourtant, c’est cette attente, cet espoir même, qui le fait rester humain. Sans ça, nul doute qu’il aurait laissé la bête prendre le dessus. Soudain, une odeur vient lui chatouiller les narines. Son esprit affirme qu’il la connaît et pourtant, elle lui semble différente. Impossible pour le brun de mettre un nom sur cette senteur. Avançant doucement, histoire de ne pas faire peur à cette personne, Damian reste figé en voyant la chevelure blonde. Il est persuadé que c’est elle ! Il pourrait la reconnaître entre mille. S’il avait respiré, nul doute que sa respiration se serait bloquée face à un tel choc. Sortant de l’ombre, il passe une main nerveuse derrière son crâne, alors qu’il hoche la tête. Cette voix … C’est bien elle. « Salut Eliza. » Il meurt d’envie de savoir pourquoi elle est strigoï. De savoir où est Hugo. Mais pour l’instant, il ne dit rien, encore sous le choc. Lui qui a espéré pendant des mois pouvoir la revoir ! Voilà que son rêve se réalise. Secouant négativement la tête, le brun hausse les épaules. « Un coup de chance en vérité. Cela fait des mois que je recherche ta … enfin votre trace. » Mais si elle était là, pourquoi l’a-t-il loupé pendant tout ce temps ? Comblant la distance qui le sépare d’elle, Damian vient glisser délicatement sa main sur la joue de sa femme. Elle lui a tellement manqué … Et pourtant, il a conscience que quelque chose est différent. « Comment es-tu devenue une strigoï ? Depuis quand l’es-tu ? Je veux dire … Je n’ai découvert que leur existence sur le front, avant d’être transformé par l’une d’entre eux. » Dans le fond, il espère juste qu’Hugo est resté humain. Ce n’est pas une vie pour un petit bonhomme de se nourrir de sang.

Elle cligne plusieurs fois des yeux lorsqu'elle prend conscience de l'identité du strigoï face à elle. Damian. Elle n'était pas prête à le revoir. A vrai dire, Eliza avait tiré un trait sur lui dès lors qu'elle avait pris la décision de prendre la fuite. C'était égoïste, elle ne lui avait jamais demandé son avis, peut-être aurait-il pu lui pardonner son erreur. Mais elle n'avait pas souhaité prendre le risque de voir le jugement dans ses yeux. Pourtant, elle avait longtemps payé son erreur. D'abord parce qu'elle n'avait jamais plus aimé un homme après lui. Mais aussi parce qu'elle s'était toujours infligé la disparition d'Hugo. Et quelque part, c'était vrai. Si elle n'avait pas fui, si elle n'avait pas changé de ville, si elle ne s'était pas caché, peut-être qu'elle n'aurait pas subi l'attaque de ce monstre. C'était sa faute, et c'était une des rares émotions qui arrivaient encore à se frayer un chemin jusqu'à son cœur de pierre : la culpabilité.

Voir Damian en face d'elle, ça fait remonter un tas de chose. Et cette ensemble n'est pas forcément positif. Durant un court laps de temps, elle est perdue. Elle ne bouge plus alors qu'il s'approche, ne réagit pas alors que sa main glisse sur sa joue, que ses mots la percute. Et puis, enfin, elle se rend compte. Elle se rend compte qu'elle ne peut pas. Elle ne peut pas lui donner de l'espoir. Elle ne peut pas repartir en arrière. Pas avec tout ce qui s'est passé entre. Pas avec sa transformation, celle - visiblement - de Damian, l'absence de leur fils. Non, elle ne pouvait pas passer au dessus, comme s'il ne s'était rien passé. « Tu n'aurais pas dû nous chercher. » Et sur ses mots, elle s'écarte, recule de quelques pas, laissant retomber la main de son ex. Elle secoue la tête. S'il n'avait été qu'un humain, elle aurait pris la décision lâche de fuir. Mais elle ne peut pas. Elle ne parviendrait jamais à le semer maintenant qu'il est comme elle. Et en même temps, elle n'a pas envie d'entamer cette discussion lourde de secrets, de non dits, de mensonges et de dissimulations. « C'est compliqué. Je ne suis pas comme toi. Enfin, je ne l'étais pas. Je n'ai jamais été humaine. » Elle soupire de lassitude. Elle n'aurait jamais dû lui cacher tout ça, mais elle s'est toujours dit qu'il ne l'accepterait pas s'il connaissait la vérité. « Tu n'as pas besoin de savoir tout ça de toute façon. Tu as juste besoin de savoir que notre départ était la meilleure chose qu'il pouvait t'arriver. Tu aurais dû refaire ta vie » Elle lève son regard vers lui, parce qu'elle a besoin de mettre un terme rapide à cette discussion. Être face à lui, c'est trop pour elle. Alors, elle veut qu'il comprenne la vérité dans son regard. « Nous ne sommes pas pareil, toi et moi. Tu as été forcé de te transformer, moi je l'ai voulu. Il n'y a plus rien de bon en moi, Damian. Peut-être qu'il n'y en a jamais réellement eu. » Elle se rend compte qu'un écart immense s'est créé entre eux depuis longtemps, un écart infranchissable. « La seule manière de te protéger, c'était de partir. Je ne suis plus la même. Tu n'as fait que courir après une chimère. Tu n'obtiendras rien. »