Je peste, grommèle dans ma barbe. Pourquoi a-t-il fallu que ça tombe sur moi ? Les missions de dernières minutes, c'était toujours pour ma gueule de toute façon. A croire que j'étais la seule alchimiste dans les coins... Peut-être pas, en fin de compte, mais peut-être la plus compétente, ou du moins, la seule qui reste droite dans ses bottes. Le centre mis à disposition pour redresser les âmes échouées étaient de plus en plus prisé par la haute autorité. Et pour cause, il existait de plus en plus d'âmes déviantes. Théa, ma meilleure amie, était elle-même en train de sombrer. Mon cœur était partagé entre mon devoir, et ma fidélité envers ma meilleure amie. Je n'avais encore rien révélé... Mais je n'étais pas sûre qu'il s'agissait du meilleur moyen de lui venir en aide. Que pouvait elle trouver à ses monstres ? Je n'en savais que le strict minimum. J'ignorais si son silence quand à sa relation visait à la protéger elle et son bien aimé, ou à me protéger moi si son secret venait à être découvert... J'ignorais si c'était pour un moroï, pour un dhampir, ou pire pour l'un de ces strigoïs que son cœur avait succombé. Je me devais d'ailleurs de me mettre sur cette piste sous peu. S'il s'agissait des deux premiers, peut-être son geste pourrait-il être pardonné. Mais si c'était un strigoï... Je ne pouvais pas garder cela pour moi. Ce n'était pas que son âme qu'elle risquait de perdre dans la bataille, pas sa place non plus. Mais bien sa vie. Je ne pouvais pas laisser faire une chose pareille.

Je contourne la façade de l'église, prudente, sur la défensive. D'après le rapport que l'on m'a transmis, le combat est fini, je dois juste venir me débarrasser des preuves. « Vous êtes là ? » Si les règles ont été respecté, le dhampir devrait encore être là. Ils sont censé nous attendre avant de prendre la poudre d'escampette, histoire de s'assurer que personne ne tomberait pas mégarde sur des preuves compromettante en attendant notre arrivée. Mais à mesure que je m'approches, j'aperçois les restes de combat.. Du sang, des armes, des cendres. Mais aucun dhampir à l'horizon. « Eh oh ? Y'a quelqu'un ? » Bizarre. Je m'approche. Cette situation ne s'est jamais présenté, qu'est-ce que je suis censé faire ? Je devrais sans doute attendre. Mais j'en ai déjà marre, je n'ai qu'une envie, rentrer chez moi. Le dhampir n'est sans doute pas très loin, sans doute en train de faire une ronde pour s'assurer que le danger est bien écarté. Quand il reviendra, il se rendra compte que j'ai fait le travail, et il repartira comme il est venu.

J'attrape mon matériel de travail au fond de mon sac, très peu discrète. Et alors que je m'apprêtais à laisser tomber la poudre sur le lieu du crime, un craquement sourd retenti. Le son me pétrifie, et je n'ose même pas me retourner. Ce bruit... On aurait dit le craquement d'un os qu'on brise en deux. Je déglutis, cherche mon courage et parvient à me retourner. C'est là que je la vois. La créature. Le monstre. Merde. Merde, merde, merde. Qu'est-ce que je suis censé faire ? Je n'ai pas appris à me battre, ce n'est pas mon rôle. Je n'ai même pas la moindre arme sur moi.. Alors, en désespoir de cause, je me mets à courir. Mais pour aller où ? L'église. Si on ne m'avait pas menti, ces monstres ne pouvaient pas rentrer à l'intérieur. Alors, comme une dérater, je contourne la bâtisse le plus vite possible. Mais pas assez vite. Encore une fois, je n'ai jamais été entraîner à ça. Une main me saisit par la gorge, et je pousse un cri de détresse. Je griffe la peau du monstre, me débats alors que la pression autour de ma gorge se resserre, que le souffle me manque. Je vois les crocs de la bête luire sous le clair de lune. Non. Pitié non, je ne veux pas finir en chair à pâté.

Je suis prise au piège. Je sais que s'en est fini de moi. Je ne fais pas le poids face aux strigoïs, je n'ai aucun moyen de me protéger, de me défendre. Je ne suis pas comme eux, je n'ai pas appris à me battre, à lutter. Alors, je ne peux qu'affronter la mort en face. Et prier pour que la douleur ne soit pas trop forte, que ma fin soit rapide. Mais, alors que je ferme les yeux pour ne pas voir l'horreur venir, la terrible morsure n'arrive jamais. Alors, contre mon gré, je finis par rouvrir les yeux, pour comprendre, voir ce qu'il se passe, intriguer par l'échange de coup que j'entends. La vitesse du combat ne me permet pas vraiment de distinguer ce qu'il se passe, mais je me doute qu'un dhampir doit être de la partie, c'est la seule explication logique.

Paralysée, je n'arrive pas à bouger d'un pas. Malgré les mois, je n'avais jamais vu un vampire d'aussi près. J'ai côtoyé les gardiens, les moroïs, mais jamais les strigoïs. Et j'aurais préféré ne jamais avoir cette chance, rester dans l'ignorance. Le combat ne dure pas très longtemps, le gardien parvient très vite à se débarrasser de la menace, et moi, je suis toujours là, incapable de bouger, tétaniser. Il s'approche de moi, me tend sa main. Je l'observe, le sang recouvrant sa paume. Je ne peux pas. Je ne peux pas saisir cette pleine de sang. Même sans cela, je n'aurais pas pu me résoudre à toucher cet être immonde, où une part de lui réside du sang des vampires. On m'a appris toute ma vie à ne pas fricoter avec eux, à les craindre, et aujourd'hui, même s'il vient de me sauver la vie, je ne parviens pas à passer au dessus de cette révulsion. Je me redresse sans son aide, par moi-même, et repousse les cheveux qui me cachaient le visage. « Garde tes commentaires pour toi » La haine transparaît dans ma voix. Je n'arrives pas à compartimenter ma haine, et mon devoir. Je finis par me détourner, pour retourner au corps pour lequel j'étais venu. J'attrape la besace à ma taille, en extirpe de la poudre que je repends sur le corps. Quelques mots prononcés à voix haute, et voilà que le corps disparait, ne laissant qu'une mince trace de poussière. Comme s'il ne s'était rien passé. Et ça me dérange. J'ai toujours détestée cette facilité à effacer la mort. C'était mort qui n'est du qu'à eux. Qu'aux monstres. « C'est fini » Je me retourne vers le gardien, l'observe un instant. Une grimace bard ma bouche. Ce n'est pas le premier que je croise, et c'est toujours la même chose. Ils sont beaux. Beaucoup trop beaux, plus que les humains, sans doute est-ce dû au sang de moroïs qui coulent dans leurs veines. Et ça aussi, ça m'a toujours dérangé, que de tels monstres puissent être si beau. « Merci pour.. Ce que tu as fait » Ca m'arrache la bouche, mais je dois bien admettre que sans lui, je ne serais plus de ce monde. « Tu peux y aller, je ne te retiens pas. » Plus vite il disparaîtra, plus vite cet étrange frisson qui s'empare petit à petit de moi disparaîtra. Je n'attends même pas sa réponse, et tourne les talons. Je referme mon manteau autour de moi, le froid s'emparant de mon corps alors que je réalise doucement que je suis passée à deux doigts de la mort. Je ne peux m'empêcher d'observer chaque recoin autour de moi, comme si un nouveau monstre pouvait me sauter dessus à tout moment.