CHEZ ELLE, PREMIÈRE ANNÉE DE SA VIE
Encore qu’une gosse, la petite Aloyssia grimpe sur les meubles, joue les acrobates, galope dans toute la maison... Elle est discrète, on ne l’entend pas, elle s'occupe seule, de son côté, bien que parfois son frère l’entraîne dans le jardin pour jouer avec elle. Son grand frère, elle l'adore. C’est l’une des rares personnes avec qui son sourire est éclatant, son rire communicatif. Même avec ses parents, elle ne partage pas grand-chose, très renfermé sur elle-même, elle recherche la solitude. Ses premiers mots ont été très tardif, aujourd’hui elle se l’explique par un manque d’envie de communication. Elle aimait ses parents, là n’était pas le souci, mais elle ne ressentait pas le besoin de nouer une relation particulière avec eux. Pas comme avec son frère. Inquiet, sa mère a toujours cru que quelque chose cloché chez elle, mais c’était juste sa personnalité qui allait prendre de l’ampleur avec les années à venir.
ÉCOLE PRIMAIRE, ANNÉE 2001
Regard dans le vide, la petite Aloyssia d’à peine dix ans est assise dans un coin de la cour de récréation. Elle n’arrive pas à se faire des amis, ou plutôt, elle n’essaie pas. Quand elle les observe, elle se rend compte de toutes l’agressivité qui se dégage de ses camarades, et ça l’effraie. Haute comme trois pommes, elle se rend déjà compte des regards haineux des autres enfants. Reculé des autres, elle distingue déjà les jugements, les plus faibles se faire marcher sur les pieds, les plus forts imposer leurs lois. Et déjà, elle déteste cette injustice, ce trop pleins de haine, de soif de pouvoir. Alors elle, elle préfère rester dans son coin, continuer à observer le monde devenir triste et terne.
COLLÈGE, ANNÉE 2003
Dans son coin, elle observe le ton monter entre deux garçons. Elle n’aime pas ça, les disputes, ça lui provoque toujours une sensation de malaise, d’oppression. Et quand, d’un coup les garçons se mettent à se taper dessus, son souffle lui manque, et ça éclate dans sa tête. Une foule d’émotions qu’elle ne comprend, qu’elle ne pense pas être les siennes. Haine. Jalousie. Peur. Déception. Toutes ces émotions se mélangent dans sa tête, elle n’arrive pas à faire le tri, à comprendre ce qu’il lui arrive. Alors elle hurle, main sur la tête, elle laisse éclater sa souffrance. Elle crie à s’en briser les cordes vocales. La douleur est telle, que ça la plie en deux, lui couple le souffle. Son crâne lui fait un mal de chien, et la panique qui la gagne ne l’aide pas à se calmer.
ÉCOLE, ANNÉE 2005, PREMIÈRE TRANSFORMATION
Comme chaque fois, elle est seule sur un banc, elle ne se mêle pas aux autres élèves. Ça cogne dans sa tête, un mal de crâne qui ne la quitte jamais depuis deux ans. C’est l’enfer, elle déteste ça. Elle aurait préféré naître sans pouvoir, être humaine, ça aurait été bien plus simple. Elle n’aimait déjà pas les gens, mais là, c’est pire. Parce que sa douleur c’’est en parti à cause d’eux. Alors elle les déteste. « Tu dois apprendre à contrôler tes émotions, sans ça, tu n’arriveras jamais à contrôler ton pouvoir. » C’est une blondinette pas plus haute qu’elle qui semble s’adresser à elle. Regard noir, Aloyssia la défie de tenter une nouvelle approche. Elle souhaite juste qu’on lui foute la paix, se tenir loin de toutes ces personnes qui ressentent trop de choses. « Ne le regarde pas comme ça. Tiens-toi droite, inspire un grand coup, et fais le vide en toi » Elle ne comprend pas pourquoi cette fille cherche à l’aider alors qu’elle ne lui a jamais rien demander. Mais elle se rend compte qu’à son contact, elle n’a ni haine, ni tristesse qui transparaît. C’est même la première fois qu’elle rencontre quelqu’un qui semble apaisé, sereine, et ça lui procure un bien fou. Durant quelques secondes, son cœur s’apaise, son mal de crane s’éloigne. Alors, elle décide de la prendre au mot. Elle déroule ses épaules, prend une grande inspiration, et tente de faire le vide, de ne plus penser à rien. Cela nécessite plusieurs essaies, plusieurs éclats de larmes, plusieurs encouragements de celle qui semble être sa nouvelle amie. Mais enfin, après un laborieux travail, un déclic apparaît. Paupières closes, elle rejette au loin toute tentative d’approcher. Tri ses propres émotions de celles des autres. Et enfin, elle réussit à mettre une barricade autour de sa tête. Enfin, elle se retrouve seule avec pour seul compagnie ces sentiments à elle.
Ce sera sa première transformation. Sa transformation initiale.
CHEZ ELLE, ANNÉE 2008, SECONDE TRANSFORMATION
Du sang. Autour d’elle, de tous les côtés. Du sang. Elle ne comprend pas d’où peut provenir tant de sang, elle en cherche la cause, et c’est là qu’elle découvre deux pieds, puis, remontant un corps allongé, étendu, raide. Un premier cri se bloque dans sa gorge, alors qu’elle n’a pas encore pris connaissance de l’identité de la personne. Et quand enfin ses yeux percutent le visage blême de son frère, son cœur se déchire. Elle ouvre grand la bouche pour laisser sortir un cri qui n’apparaît pas. Juste ce silence assourdissant qui lui comprime la poitrine face à cette terrible vérité. Son frère est mort. La vie a quitté son regard.
Elle s’éveille d’un coup, en sursaut, recouverte de sueur, la poitrine en feu face à l’air qui lui manque. Son regard fait un focus sur Haelios. Quelques minutes sont nécessaires pour se rappeler qu’il est resté dormir avec elle ce soir. « Tu faisais un cauchemar, est-ce que ça va ? » Pour peu, elle l’enverrait presque sur les roses face à cette phrase trop répétée de nombreuses fois. Mais ce n’est pas sa faute si elle n’arrive pas à surmonter la perte de son frère. « Mon frère... Il... » Elle hoquette, n’arrive pas à trouver ses mots. Alors il finit par l’attirer dans ses bras, par la bercer contre son cœur. « Chut, je sais, je sais. Mais il n’aurait pas voulu ça » Il est sans doute l’unique personne à pouvoir dire une chose pareillle sans qu’elle ne lui arrache la tête. Même avec ses parents, elle refuse d’aborder le sujet. « Ne dis rien, et réfléchis à ce que je viens de te dire. Il aurait voulu que tu sois heureuse, que tu cesses de t’en vouloir pour une chose que tu n’aurais pas pu empêcher. » Alors elle garde le silence. Et elle médite là-dessus plusieurs jours durant.
Au réveil, un samedi matin, elle prend conscience que pour la première fois depuis deux ans, elle n’a pas cauchemardé, ne s’est pas réveillé au beau milieu de la nuit... Et c’est sur cette constatation que la seconde transformation s’opère, la transformation charmix.
LYCÉE, ANNÉE 2009
C’est le grand jour pour elle. Pour eux. C’est la première fois qu’ils seront seuls avec Haelios. Ses parents ne sont pas là, et elle s’est décidée à passer ce cap important avec lui. Lui, elle n’ignore pas qu’il est prêt depuis déjà des mois, mais il n’a jamais rien imposé à la brune. Mais aujourd’hui, elle est prête, prête à lui offrir cette partie de lui qu’elle lui refuse encore. Mais il n’est pas au courant, elle souhaite lui faire la surprise. C’est armé d’une jolie robe qu’elle l’attend. Sans exagérer pour autant, elle s’est faite belle juste pour lui, pour cette soirée spéciale. Lorsqu’il sonne, elle l’accueille avec un splendide sourire. « Tu es magnifique. Je te l’ai déjà dit, non ? » ça la touche elle qui doute en permanence de son regard, du regard des autres. Elle se jette dans ses bras, attrape sa nuque, et l’embrasse avec force. Un baiser dans lequel elle délivre amour, besoin, et envie. « Et bien, qu’est-ce qui me vaut un tel honneur ? » Avec son sourcil haussé, et son sourire en coin, il est plus beau que jamais. « Je suis prête, Hae... » Aucune nécessité de préciser, son regard se suffit en lui-même. « Tu es sûre ? » La gorge serrée par l’émotion, elle se contente de hocher la tête. Sa prévenance et sa prévoyance envers elle est l’une des plus grandes qualités du jeune homme. Et elle ne l’en aime que plus grâce à ça. Alors qu’il rejoigne sa chambre, le brun allongé contre elle, ses lèvres contre les siennes, elle décide de laisser tomber ses barrières. C’est la première fois qu’elle les retire d’elle-même, sans aucune nécessité particulière. Juste parce que ce moment, elle souhaite le vivre de la meilleure des façons. Alors elle se laisse envahir par tout l’amour, toute la douceur qu’il ressent pour elle, et en retour elle lui partage ce trop pleins d’émotions qui agrippe son cœur.
CHEZ EUX, ANNÉE 2013
Elle contemple sa main, cette alliance qui entoure son doigt. Un sourire nié, imbécile lui déforme le visage. Mais elle n’arrive pas à contenir sa joie depuis qu’Haelios l’a demandé en mariage. Quand elle repense aux premières années de sa vie, à son frère, à sa perte, jamais elle n’aurait imaginé pouvoir avoir un tel avenir. Pouvoir être aussi heureuse, comblé. Mais c’est le cas aujourd’hui. Quand elle regarde autour d’elle, cet appartement qu’il loue à deux, cette bague... Ou encore les petits moments de partages lorsqu’Haelios se dandinent pour faire la cuisine. Elle est comblée, heureuse, amoureuse. La seule chose qui manque à sa vie, c’est instinct maternel qui le lui souffle. « Hae, on fait un bébé ? » Elle lui souffle l’idée, comme ça, sans détour. Mais c’est ainsi que fonctionne leur vie.
MATERNITÉ, ANNÉE 2015
Cléophée Elle regarde cette petite fille dans les bras de son père, et les larmes lui montent aux yeux. Elle s’était promise de ne pas pleurer, de rester forte, mais une joie pure remonte. Elle ignore si c’est la sienne, celle de son mari, elle s’efforce de ne pas perdre le contrôle, mais ses pouvoirs lui jouent de mauvais tour ses derniers temps, ça déborde, et elle est envahie par une tonne de sentiments différents. Mais il n’en existe qu’un qui surplante tous les autres : le bonheur. Cette joie pure qui ravage sa vie depuis sa rencontre avec son mari.
SUR LA ROUTE, ANNÉE 2016, TROISIÈME TRANSFORMATION
Son cœur se déchire, alors qu’elle s’éloigne de cette vie qui était la sienne. L’émotions lui obstrue la gorge, des sanglots secouent son corps, elle se mord la lèvre violement pour s’empêcher de pleurer. Elle ne lui fera pas ce plaisir, pas à lui. « Tu as pris la bonne décision, ils ne risquent plus rien maintenant. » NON. C’est ce qu’elle souhaite lui crier au visage. Non, ce n’est pas la bonne décision. Au mieux, c’est la moins pire de celle qu’elle aurait pu prendre, mais ce n’est sans doute pas la bonne, pas plus que celle qui ne la fera pas culpabiliser. Elle est en train de laisser derrière elle toute sa vie, son bonheur, son mari, sa fille. « Tu n'es qu’un monstre » lui crache-t-elle au visage. « Oui, ma chère Aloyssia, mais tu en étais déjà conscience lorsque tu t’es précipité dans mes bras. Tu savais déjà que j’étais l’assassin de ton frère, et ça n’a rien empêché » Ses sanglots redoublent, encore. « Tu m'as manipulé » Elle se défend, mais au final, même s’il ne s’agit que de manipulation, elle est souillée. Souillée par la trahison. Alors qu’elle ferme les yeux, un flash-back l’emporte :
Elle erre dans les rues, son crâne menace d’exploser. Depuis la naissance de sa fille, elle ne contrôle plus aussi bien ses émotions, ses pouvoirs. Si son mur faisait l’affaire jusque-là, pour tenir les autres à distances, avec sa fille, la chair de sa chair, c’est beaucoup plus compliqué. Elle n’arrive pas à dresser une véritable barrière entre elle et Cléophée. Elle est à fleur de peau, la douleur martèle son crâne, elle n’a pas dormi depuis des jours. La faiblesse s’est emparée de son corps. Et c’est là qu’il apparaît pour la première fois, cet homme, cet inconnu. Non ce n’est pas un inconnu, ce visage, cette posture, ça lui rappelle un vague souvenir mais elle n’arrive pas à retrouver cette sensation étrange. « Bonjour, beauté » Cette voix rauque lui file un frison qui remonte le long de sa colonne vertébrale. Cette voix, ça lui inspire la faute, le mal, le péché. Sans lui répondre, elle s’en éloigne. Du moins, c’était son intention jusqu’à ce qu’une vague de désir pure la traverse. Un geignement lui échappe, ces jambes trembles. Elle n’a jamais ressenti ça, jamais une émotion aussi forte, aussi soudaine. Et elle n’arrive pas à trier ce qu’elle-même est censé ressentir. Alors que ces jambes sont prêtes à flancher, une poigne ferme s’enroule autour de sa taille et elle se retrouve pressée contre un torse musclé. C’est là, si prêt, lorsque son regard plonge dans celui de l’inconnu qu’elle se rappelle. « Toi... C’est toi » Mais c’est déjà trop tard, elle est perdue au milieu d’un désir inassouvie, d’un besoin réel, et lorsqu’il pose les lèvres contre les siennes, elle sait que c’est trop tard, qu’elle ne pourra rien contre ça.
C’est le lendemain, alors que le mal était fait, qu’elle s’est rendu compte pour la première fois que l’on pouvait utiliser son pouvoir contre elle. L’inverse était vrai, elle l’avait déjà utilisé à de mauvaise fin, sans s’en rendre compte. Mais c’était la première fois qu’on l’utilisait pour la manipuler, pour la briser. Et que cet homme soit l’assassin de son frère n’avait rien changé dans la balance. Elle était sous la coupe de son pouvoir, de ses émotions.
Elle caresse son ventre. Une fois, il avait suffi d’une fois, pour qu’à nouveau le processus soit lancé, qu’elle attende un enfant de ce monstre. De là, elle ne pouvait plus faire comme si de rien n’était. Il était impossible qu’elle reprenne sa vie, elle mente à Haelios. Et le monstre a fini par la mettre au pied du mur. Elle s’enfuyait avec lui, pour élever cet enfant... cet enfant qu’il comptait pervertir, éduquer sous les mêmes coutumes que lui, dans l’ombre... ou il s’en prenait à sa fille, à Haelios, à Cléophée. Ça a été la décision la plus difficile à prendre. Mais là, dans la voiture, en route pour un avenir qu’elle ignore mais qu’elle sait dès lors être sombre, elle prend conscience qu’il n’aurait pu en être autrement, elle n’aurait jamais accepté d’être la cause du malheur des siens.
Et c’est là que la troisième transformation s’opère, après le sacrifice d’un bonheur avec les siens au prix de leur bonheur à eux, que son enchantix apparaît.
TOUR ÉCLIPSE, ANNÉE 2021
Mort. Il est mort. Son corps transpercé d’un objet qu’elle préfère ne pas identifier. C’est à peine croyable. Elle n’arrive pas à réaliser ce que cela implique. Est-ce qu’elle est libre ? Libre de partir ? Libre de rentrer chez elle ? Ce n’est pas possible, pas après tant de temps. Est-ce une bonne idée de revenir sur les traces d’un passé révolu ? Il ne lui faudra pas longtemps pour se rendre compte qu’elle n’a pas le droit de laisser passer une chance pareille. Il lui aura fallu à peine plus d’une semaine pour remballer toutes ses affaires, préparer sa fille, Ava est partir en direction de Magix. Elle ignore ce qui l’attend là-bas, mais elle ne peut pas rester dans l’ignorance. Si une chance existe pour qu’elle retrouve son ancienne vie, elle doit essayer. |