Face à son écran, Chloe n'était pas concentrée. La page qui s'affichait sous ses yeux n'avait pas bougé depuis des heures. Pour peu l'on n'aurait croire que son écran avait figé. Mais non, c'était juste elle. Elle qui était perdue dans ses pensées. Elle qui s'était efforcé de venir travailler ce matin dans l'espoir que garder ses habitudes rendrait les révélations de la veille plus banale, voir inexistante. Depuis qu'elle connaissait Lucifer, elle n'avait pas manqué de comprendre que quelque chose cloché chez lui, qu'il lui cachait une horrible vérité. Elle s'était attendu à un secret de famille, mais un comme celui-ci ?

Et pourtant, elle ne pouvait nier ce qu'elle avait vécu la veille. Pire, à chaque fois qu'elle pensait à Lucifer, elle ignorait de quelle manière se comporter. Elle ne pouvait même pas prétendre lui en vouloir de lui avoir dissimuler la vérité, parce qu'il ne l'avait pas fait. Il n'avait eu de cesse d'être sincère avec elle, transparent. Elle n'avait juste pas voulu le croire. Malgré ses compétences particulière en terme de persuasion. Et en même temps. Le diable. LE DIABLE. Comment aurait-elle pu croire à une chose pareil ? Comment aurait-elle pu se douter que ce n'était que la vérité. Encore aujourd'hui, lorsqu'elle y pense, ce n'est que pure folie. Et maintenant, il lui fallait prendre une décision. Elle avait renvoyé sur sa boite vocal tous les appels de Lucifer, et s'était acharné à ne pas répondre ni à ses messages, ni à son répondeur. Mais cela n'allait pas pouvoir durer éternellement. Déjà parce que Trixie commençait déjà à lui poser des questions, mais aussi parce que viendrait le jour où Lucifer en aurait marre et viendrait la chercher directement chez elle.

Elle soupire. Toutes ses croyances sont remises en question par ces quelques vérités. Et elle ignore ce qui est le pire. Penser connaître quelqu'un, et se rendre compte qu'il incarne le mal. Où se retrouver face au diable, et se rendre compte qu'elle ne peut pas le blamer, qu'il n'est pas mauvais - ou du moins, pas complétement. Parce que la vérité est là. Et c'est bien le fond du problème. Si Lucifer n'a pas toujours été droit dans ses baskets, et n'a pas manqué d'abuser de son pouvoir sur certaines personnes en détresse, il ne revet pas pour autant un mauvais fond. Pourquoi aurait-il mené tant d'enquête à ses côtés ? Pourquoi aurait-il chercher des coupables ? Le diable n'est-il pas censé punir, qu'importe la personne, qu'importe la raison ? Et surtout, elle ne pouvait pas ignorer que Lucifer s'était toujours efforcé de la protéger, elle, et les siens.

Nouveau soupire, et en quelques clics, la voilà qui ferme la fenêtre sur son écran, et quitte sa session. Rien. Elle n'arrivera à rien aujourd'hui, ce n'est pas la peine de persévérer. « Je rentre chez moi. Je reste joignable si tu as besoin de moi. », indique-t-elle à son collègue. Elle enfile son arme dans son étui, passe sa veste et après un dernier coup d'œil pour être sûr que chaque chose est à sa place, elle prend le chemin de la sortie.

Qu'elle n'est pas sa surprise de découvrir Lucifer sur le trottoir, qui semble en plein débat avec lui-même. « Que faites-vous ici ? » Elle lui fait face, l'observe, cherche à savoir les raisons de sa soudaine apparition. Puis, à nouveau elle soupire. « Ca tombe bien que vous soyez là, je m'apprêtais à passer vous voir. » Elle ne peut plus échapper à cette discussion. Il faut que les choses soient mises à plat pour qu'il puisse reprendre un nouveau départ. Dans la même direction, ou chacun de son côté, cela dépendra de cette discussion. « Je crois que l'on a des choses à ce dire. » Oui, des tonnes même, mais elle ne sait même pas par où commencer tellement cela lui paraît improbable. « Je ne vous ai même pas remercier de m'avoir.. mh, sauvé. Alors, merci. Sans vous.. » Elle n'achève pas sa phrase, parce qu'elle ne veut même pas penser à ce qui aurait pu arriver s'il n'avait pas été là.

Prise sur le fait, Chloé se retrouve comme une imbécile, à ne pas savoir quoi lui dire. Bien sûre, elle comptait lui rendre une petite visite, parce qu’ils ne pouvaient pas rester ainsi. Elle l’ignorait depuis que... Depuis qu’il l’avait sauvé, mais cela ne pouvait pas perdurer. Il fallait qu’ils parlent, qu’elle comprenne. Mais elle comptait sur le trajet pour trouver la meilleure manière d’aborder les choses. Là, elle est prise au dépourvu. Et pourtant, elle commence à le connaître à force, elle aurait dû se douter qu’il n’attendrait pas patiemment qu’elle daigne se décider. Elle grimace. Lucifer a toujours manqué de tact, et aujourd’hui, la blonde en fait de nouveau les frais. Elle préférerait qu’il évite d’abord la question de sa possible mort. C’est déjà bien assez qu’elle l’ai frôlé, elle préfère ne pas devoir y penser chaque jour du reste de sa vie. « En effet, oui. » Elle soupire. Bien sûr, du Lucifer dans toute sa splendeur. Il ne pouvait pas se contenter d’accepter ses remerciements. Il faut toujours qu’il en rajoute. En même temps, la blonde ne peut s’empêcher de penser qu’il a raison. Depuis le début, il s’est toujours montré honnête avec elle, c’est juste elle qui n’a pas voulu le croire. Mais en même temps, comment l’aurait-elle pu ? C’était en contradiction avec toutes ses croyances. Sans compter que n’importe qui réfuterait cette véritable. Le diable. LE DIABLE. Lucifer était le diable. Et alors même qu’elle le connaissait maintenant très bien, et qu’elle était persuadé qu’il ne représentait pas une menace, ou un quelconque danger, elle ne pouvait s’empêcher de craindre l’image même du diable. « Vous avez raison. Je vous prie de m’excuser Lucifer » Elle aimerait se justifier, lui faire comprendre que pour elle, pour un être humain, rien n’est plus invraisemblable que de s’adresser au diable en personne. Mais quel intérêt, au fond ? Il sait déjà tout ça. « Est-ce qu’on pourrait continuer cette discussion en marchant ? » Il ne manquerait plus que son équipe entende cette vérité et qu’ils la prennent elle aussi pour une dingue. Parce qu’elle aurait du mal à se justifier face à eux.



Côte à côte, ils s’éloignent en direction du parking. Elle pourrait l’inviter à rentrer avec elle, mais marcher lui fait du bien, ça lui remet les idées en ordre et ça lui évite de paniquer. « Vous savez, ça fait beaucoup pour une seule personne. » Elle cherche à y aller avec tact, parce que ce n’est pas le sujet le plus évident qui existe. « J’imagine que vous ne pouvez pas comprendre. Vous vivez avec cette vérité depuis toujours. » Elle essaie de se mettre à sa place, de se rappeler sa réaction, son insistance chaque fois qu’elle lui riait au nez lorsqu’il lui révélait la vérité. « Mais moi, j’ai grandi avec l’idée que c’était impossible. Que le diable était mauvais. » Elle tient vraiment à lui expliquer ses réactions. Parce qu’elle ne peut pas se mentir, un lien indéfectible s’est créé entre eux, et malgré toutes ses peurs et ses incertitudes, c’est important pour elle de ne pas briser cela. Il lui faudra juste un peu de temps pour s’habituer. « Et l'image que j'ai de vous, elle ne correspond pas. Vous, vous n’êtes pas mauvais Lucifer. Vous n’êtes peut-être pas bon non plus, je ne pourrais pas dire ça... » Un léger sourire plisse ses lèvres alors qu’elle pense à toutes ces choses qu’il a faites de travers, sans considération pour les autres. C'est dingue comme une seule et même personne peut vivre dans deux mondes complétement différent l'un de l'autre. « Je n'ai pas peur de vous, et pourtant vous êtes le diable. Et c'est bien ça, qui m'effraie. » Elle fronce les sourcils face à ses propres confidences. C'est du charabia, à ne rien comprendre. Ce qui l'effraie, c'est de ne pas être effrayé. Parce que la raison pour laquelle elle n'a pas peur de Lucifer, c'est parce qu'elle s'est attaché à lui. Et c'est justement ce sentiment qui la terrorise. « Pourquoi êtes-vous là, Lucifer ? Je veux dire ici, sur terre ? » Elle se tait, le temps de réfléchir à cette question. Et de comprendre que la réponse qu'elle attend en est une plus précise encore. « Pourquoi vous êtes ici, avec moi ? Je veux dire... Je ne vous ai jamais cru, je vous ai repoussé, alors pourquoi êtes vous encore ici ? Pourquoi avez-vous persisté alors que je vous ai donné toutes les raisons de fuir ? »